
Après la disparition tragique du Maréchal du Tchad, un Conseil Militaire de Transition a été mis sur pied, le 20 avril 2021 avec un gouvernement, censé mener à terme une transition de 18 mois. 100 jours après sa mise en place, que peut-on retenir des actions du gouvernement de transition ? Le Premier ministre de transition, Pahimi Padacké explique dans cette interview, les avancées et ce qui reste pour la mise en place des institutions et l’organisation du dialogue national.
Monsieur le Premier Ministre, quel est le bilan des 100 jours du gouvernement de transition que vous dirigez ?
Il est encore tôt d’évoquer le bilan de l’action gouvernementale. Toutefois, ce premier trimestre nous a permis de faire une analyse de l’existant et de nous apercevoir de l’immensité des défis auxquels est confronté notre pays secoué par une triple crise, économique, sécuritaire et sanitaire. Le risque d’implosion tant redouté après la disparition tragique du Maréchal du Tchad, a été fort heureusement maitrisé. La paix sociale est une réalité. La relance de l’économie, sous l’impulsion du gouvernement, est saluée par nos partenaires du secteur privé. Et le récent accord avec les Brasseries du Tchad (BDT) qui engendrera la réouverture de l’usine de Moundou, procède de la volonté du gouvernement à réduire davantage le taux de chômage qui est d’ailleurs l’un des plus bas dans la sous-région.
Comment se prépare le dialogue national inclusif dont vous avez la lourde charge de l’organiser ? Et à quelle étape sommes-nous actuellement ?
Le dialogue national inclusif, que l’ensemble des Tchadiens appelle de tous leurs vœux, constitue l’une des priorités du gouvernement de transition. Le Président du Conseil Militaire de Transition a, d’ailleurs, donné le ton en signant le décret relatif à la composition du comité préparatoire incluant les diverses composantes et les forces vives de la nation.
Car, il va de soi que l’implication de toutes les couches de la population est requise pour déboucher sur un consensus constructif. Cette phase préparatoire est importante à nos yeux, raison pour laquelle j’ai pris la résolution de faire une communication à toutes les forces de la nation pour en appeler à une prise de conscience individuelle et collective. Un délai de 15 jours a été accordé pour que le Ministre en charge de la réconciliation entre en possession de la liste des représentants de toutes les composantes nommément citées dans le décret. Une fois le comité préparatoire mis en place de façon consensuelle, il lui reviendra de mettre en branle la suite du processus en tenant compte des moyens qui sont les nôtres et surtout du temps imparti. Je veillerai à ce que tout se fasse dans un sursaut d’orgueil collectif afin d’aboutir à des élections libres et transparentes à l’issue de la transition.
Quelle est la garantie pour les politico-militaires pour prendre part à cette assise entre les fils du Tchad?
Le dialogue que les Tchadiens attendent avec espoir sera d’envergure nationale et aura un caractère inclusif. Nos compatriotes qui ont pris l’option des armes pour défendre leurs opinions devront les déposer et venir eux-aussi autour de la table pour co-construire le Tchad de demain. Qu’ils saisissent la main tendue du Président du Conseil Militaire de Transition et du Gouvernement qui œuvrent en toute intelligence pour le retour à l’ordre constitutionnel.
Le Tchad dispose-t-il des moyens financiers conséquents pour organiser ce dialogue national ?
La question des ressources financières relatives au processus organisationnel du dialogue national constitue une des véritables préoccupations du gouvernement. Pour y faire face efficacement, outre ses propres efforts, le gouvernement sollicite le précieux apport de ses partenaires techniques et financiers et de la communauté internationale. Il est clair aujourd’hui que le Tchad mérite à bien des égards, un appui conséquent pour l’organisation de ces assises, capitales, pour sa stabilité et partant, celle de la sous-région.
La question du renouvèlement de la transition est sur les lèvres ces derniers jours. Va-t-il avoir une garantie qu’elle soit de 18 mois comme le souhaite la majorité des Tchadiens et de la classe politique ?
Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Nous sommes encore à une phase préparatoire comme je l’indiquais tantôt. L’implication active de toutes les forces vives dans le processus nous permettra de réussir ce défi dans le délai imparti. A ce stade, mon gouvernement et moi, nous nous évertuons à voir le verre à moitié plein. L’optimisme devrait être de mise afin d’envisager l’avenir de notre pays avec sérénité et faire mentir les oiseaux de mauvais augure qui prédisaient un chaos au Tchad après la disparition du Maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno.
Nous assistons ces derniers temps à des grognes que ce soit de la population, des travailleurs comme des diplômés sans emplois. En votre qualité de chef du gouvernement, que faire pour apaiser la situation ?
La pandémie de la Covid-19 a entraîné indubitablement l’augmentation du taux de chômage dans beaucoup des pays, et une récession économique mondiale. Le Tchad n’en est pas épargné. Les grognes auxquelles vous faites allusion en sont une des conséquences. Conscient de l’aspiration des populations au bien-être et de l’étroitesse du marché de l’emploi qui ne peut pas absorber toute la main d’œuvre existante, le gouvernement déploie des efforts pour développer l’auto-emploi. Avouons-le, les crédits relatifs à l’agriculture et à l’auto-emploi octroyés par l’Office National pour la Promotion de l’Emploi (ONAPE) ainsi que le fonds de 30 milliards mis en place par l’Etat au profit de la jeunesse sont autant de perches qui lui sont tendues pour sortir de la précarité.
Le Tchad dispose de potentialités touristiques et culturelles énormes mais malheureusement ces deux secteurs demeurent depuis des lustres, le maillon faible de l’économie tchadienne, basée plus sur le pétrole. Que pourrait-on attendre de votre gouvernement pendant les 18 ou 36 mois pour que ces secteurs puissent connaitre leur véritable décollage ?
Certes, le pétrole a favorisé une certaine embellie économique au Tchad. Mais nous ne saurons miser uniquement sur le pétrole dont le cours sur le marché mondial est fluctuant. Il est question aussi de reconnaitre qu’un pays s’illustre à travers le monde par sa culture et ses atouts touristiques. Il est temps de redonner vie à nos valeurs culturelles. L’artiste qui est l’ambassadeur planétaire devrait se nourrir de son art et inciter les plus jeunes à aspirer au meilleur. Le Tchad n’est pas un désert culturel comme l’atteste l’accueil chaleureux réservé au film « Lingui » récemment en lice pour la palme d’or de notre compatriote, Mahamat Saleh Haroun, et le prix « Apollinaire » remporté par l’écrivain Nimrod Bena Djangrang. L’organisation annuelle du mois du livre découle de la volonté du gouvernement de valoriser les œuvres de l’esprit. Il s’agit en fait de laisser s’exprimer haut les artistes et leur donner les moyens nécessaires afin qu’ils s’épanouissent dans leur travail qui, ma foi, n’est pas moindre mais qui dégage beaucoup de passion mais surtout contribue à apaiser les esprits et à adoucir les mœurs. Le tourisme constitue un atout, de par notre situation géographique qui fait du Tchad un trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Le prochain sommet mondial du tourisme que le Tchad abritera permettra assurément de mettre en branle un ambitieux plan national de développement touristique.
Propos recueillis par Sabre Na-ideyam