
Le président du parti Rassemblement pour la Démocratie et le Progrès (RDP), Mahamat Allahou Taher, a annoncé le 17 octobre 2021, le divorce avec le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) dont il était un allié de longue date. Un acte surprenant pour beaucoup d’observateurs de la scène politique. Ici, il explique ce qui a conduit à cette situation et a donné son point de vue sur la transition actuelle menée par le Conseil Militaire de Transition.
Mahamat Allahou Taher, Président du RDP. Ph/SN
Comment appréhendez-vous la transition après le décès subit du président Idriss Déby Itno ?
Merci tout d’abord pour l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer sur des sujets brûlants. Comme tous nos compatriotes, nous avions appris avec peine la disparition tragique et brusque du Président Idriss Déby Itno le 20 avril 2021. Nous saluons la mémoire de cet homme d’Etat qui aura marqué notre histoire de sa forte empreinte. Cependant, la leçon politique que nous retenons, c’est que les institutions de la IVème République qui reposaient intégralement sur les épaules du Maréchal du Tchad n’ont pas fonctionné après sa mort comme cela se devrait. Les institutions d’un pays ne doivent en aucun cas reposer sur un seul homme ou sur sa catégorie. C’est un risque pour la continuité et la stabilité. Et le CMT a cru devoir combler le vide institutionnel en prenant le pouvoir vacant pour faire face à une situation extrêmement périlleuse. Il s’est donné la mission d’assurer la transition. Et depuis lors, nous, au RDP, nous nous sommes engagés aux côtés du CMT et de son Gouvernement dans cette transition, avec un souci d’apaisement même si nous aurions voulu évidemment qu’elle soit plus consensuelle et apaisée que cela. En quelques 5 mois, le Conseil Militaire de Transition a pu garder la haute main sur les affaires du pays. Nous cheminons vers un dialogue qui devrait aboutir aux 18 mois aux premières élections générales. Il faut dire que pour la première fois, nous avons cette chance historique de remettre en ordre notre démocratie et de refonder notre République sur des bases plus assurées. Nous devons tout faire pour ensemble créer les conditions d’une alternance démocratique réelle, gage de paix et de stabilité durable.
Pensez-vous que la période de transition sera respectée par le Conseil Militaire de Transition et ce, dans un délai de 18 mois ?
D’après la Charte, la période de transition devrait être de 18 mois. Et nous avons déjà consommé 5 à 6 mois. Au RDP, nous estimons que le CMT doit respecter ses engagements. Mais comme vous le constatez avec nous, il y a beaucoup de lenteurs et ce, malgré quelques avancées (nomination d’un Premier ministre de transition, mise en place du Gouvernement et du CNT tout dernièrement, mise en place du CODNI etc.). Mais aujourd’hui, la question qui se pose est, est-ce que ce délai va être respecté ? Au RDP, nous avons de sérieux doutes à ce sujet, sachant que le processus du dialogue enclenché semble piétiner en partie à cause des difficultés liées aux moyens. Et si nous n’y prenons pas garde, dans le temps qui reste, nous ne pourrons pas faire tout ce qu’il y a lieu de faire avant de clore la transition. A contrario, Il ne faut pas non plus en aucun cas se précipiter pour organiser des élections bâclées, source d’instabilités. La question qui demeure est, que va-t-il se passer si nous dépassons le délai de 18 mois imparti ? La charte prévoit certes dans sa formulation actuelle, un possible renouvellement mais cette question épineuse ne peut que relever du consensus à travers le dialogue national inclusif. L’ensemble des acteurs auront leur mot à dire et aussi l’Union africaine ainsi que nos partenaires extérieurs. Il en va de la paix et de la poursuite sereine de la transition.
Le 17 octobre 2021, vous avez annoncé la fin de l’alliance qui vous unit avec le Mouvement Patriotique du Salut. Qu’est-ce qui a motivé ce divorce après tant d’années ?
Beaucoup de choses au fil du temps nous ont conduits à cette discordance dans les relations entre les deux partis qui avaient pourtant conclu une alliance depuis 2001 en vue de la stabilité du Tchad. Il convient de dire d’abord que notre geste de rupture loin d’être un coup d’éclat, répond aux vœux largement exprimés par notre base ainsi que les cadres et jeunes mécontents de la manière dont leur grand parti est traité. Depuis 2016, puis 2019 et même bien avant cela, nous avions profondément déploré que le RDP, jadis, l’un des socles de la vie politique tchadienne, se soit considérablement affaibli dans l’alliance avec le MPS au point de perdre nombre de ses acquis obtenus au prix de lourds sacrifices. Malgré notre bonne volonté, les différents accords signés n’ont jamais été respectés, même à 15% et notre partenaire est toujours resté sourd à nos supplications prenant même notre patience pour de la faiblesse. Donc, les nuages se sont ainsi amoncelés depuis quelques années, et l’arrivée de Zen Bada à la tête du MPS a considérablement affaibli les liens de confiance entre les deux partis. Cet adepte du parti unique s’était juré de détruire le RDP considéré comme un allié-rival malgré notre sincérité et toute notre bonne volonté. Le RDP s’est vu exclu de la gestion publique mis à part quelques strapontins éphémères dans le Gouvernement. Nous n’avons jamais été pleinement associés aux grandes décisions concernant notre pays. Nos principaux cadres n’ont jamais pu participer comme il se doit dans une alliance politique à la gestion commune pour apporter leur contribution dans le sens de la bonne gouvernance. Pour vous donner une idée, nous n’avons même pas aujourd’hui un seul préfet ou un seul Gouverneur de province dans le RDP, sans parler des postes de responsabilité dans l’administration centrale et la diplomatie. Le MPS lui, de son côté s’est renforcé en s’érigeant en parti-Etat, soucieux de ses intérêts exclusifs. Tenant compte du rapport de force et des engagements pris avec le défunt Maréchal du Tchad, nous nous étions impliqués activement lors des présidentielles d’avril 2021 pour soutenir le candidat Idriss Déby Itno. Aujourd’hui, depuis la mort du Président Idriss Déby Itno, nous nous situons dans le cadre d’une transition qui doit englober tous les tchadiens, y compris les politico-militaires. Donc grosso-modo, ce qui a manqué avec le MPS, c’est la confiance mutuelle et le respect des engagements pris depuis 2001. Nous n’avons jamais cessé de demander l’application de nos accords. Avec la disparition du Maréchal, garant de nos accords, nous n’avions plus aucune garantie, ni moyen de pression. Car, l’accord reposait en grande partie sur nos relations avec lui et son ouverture à notre égard. Nous n’avions mis en place aucune structure de suivi et de concertation avec le MPS. Chacun allait de son côté comme si l’accord-cadre d’alliance signé en Avril 2021 était devenu caduc de lui-même. Nous n’avons fait que tiré les conséquences de cette situation. Le MPS n’a pas daigné en 5 mois, même une seule fois, nous approcher pour une concertation sérieuse sur la marche de la transition et l’avenir de nos relations. Depuis 6 mois maintenant, aucun de nos cadres n’a été nommé a un poste de responsabilité même dans la préfectorale. Ce qui occasionne des découragements importants en notre sein même si nous reconnaissons volontiers que la transition doit être neutre et non donner l’occasion à une course clientéliste pour les postes dans l’administration ou les entreprises. Mais la règle doit s’appliquer à tout le monde et les compétences doivent être mises à contribution sans discriminations. Enfin, pour finir, je dirais que tout récemment, la constitution du bureau du CNT a été la goutte d’eau supplémentaire. Sciemment, l’une des vice-présidences a été refusée au RDP au profit de partis de moindre importance. Au-delà du poste, nous avons vu le signe d’une défiance sans nuance du MPS à l’égard du RDP et d’une volonté de nuire à l’image du RDP, réduit au rôle de secrétaire de séance. Cet acte sournois, qui a même surpris certaines consciences au sein du MPS, n’augurait rien de bon et surtout que déjà, au sein du Gouvernement, le RDP n’avait bénéficié que de strapontins. Devant le mécontentement grandissant de nos militants et militantes, nous avons dû nous résoudre à constater l’acte de décès de l’accord RDP – MPS pour envisager l’avenir avec plus de confiance et aussi contribuer positivement à une vraie transition et à la refondation de notre pays. Le RDP doit se recentrer sereinement sur ses idéaux et ses objectifs.
En votre qualité de président du Rassemblement pour la Démocratie et le Développement, que dites-vous à la première vue, du budget prévisionnel du CNT ?
Nous avions été comme tous nos compatriotes surpris et choqués par cette intention indécente et manifeste de dilapidation et de dissipation des deniers publics qui doivent servir avant tout au bien-être de nos populations paupérisées. Des structures budgétivores ne doivent pas s’octroyer des moyens aussi disproportionnés pour faire fonctionner des institutions transitoires. C’est indécent et inacceptable et nous condamnons avec fermeté ce projet faramineux de budget qui a avorté et ceux qui sont derrière cela. Nous pensons qu’avec infiniment moins de moyens, le CNT devrait pouvoir fonctionner efficacement au bénéfice de la transition. Nous appelons le bureau du CNT à plus de réalisme et à moins de gloutonnerie. Nous saluons le recadrage du président du CMT à cet égard.
Enfin, quel appel lancez-vous à l’endroit des Tchadiens en cette période de transition ?
J’appelle tous nos compatriotes à la cohésion et au vivre ensemble et nos gouvernants à cesser toutes les injustices et les discriminations qui minent les fondements de notre Nation. Nous avons vécu de trop longues années d’instabilités à cause de nos erreurs et surtout de la cécité de nos dirigeants successifs trop imbus de leur pouvoir et dépourvus aussi de sens de l’Etat. Il est temps de nous ressaisir et de nous unir pour tourner définitivement le dos aux conflits inutiles en refondant notre pays sur des bases nouvelles. Nous devons tous ensemble œuvrer pour le développement et faire confiance à la jeunesse consciente pour bâtir l’avenir. Faisons tout pour que cette transition réussisse et qu’un vrai processus de dialogue vienne contribuer à réconcilier les fils du Tchad ou qu’ils soient. Au RDP, nous serons toujours engagés au service de notre pays et non d’un régime en particulier.
Interview réalisée par
Sabre Na-ideyam