Bedoumra Kordjé, président du GRAPA 1er Juin : “Nous aurons besoin d’une administration transparente, neutre et saine pour aider à l’organisation d’élections crédibles”Bedoumra Kordjé, président du GRAPA 1er Juin : “Nous aurons besoin d’une administration transparente, neutre et saine pour aider à l’organisation d’élections crédibles”

User icon Par Ibrahim Adam

Depuis la disparition du Maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno, le Conseil militaire de transition a été mis sur pied pour assurer la continuité de l’Etat et organiser un dialogue qui va permettre sur l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes. Cependant, beaucoup de forces vives de la nation doutent encore sur la bonne foi et la bonne volonté du CMT, d’où l’appel du 1er Juin, par un groupe de hauts cadres. Son président, Bedoumra Kordjé revient dans cet entretien sur leurs revendications qui est d’abord la modification de la Charte de la transition.

L’année 2021 s’est achevée avec la mort tragique du président Déby sur les champs de bataille remettant en cause la paix et la stabilité du pays. Un conseil militaire de transition a été mis en place. En votre qualité de président du Groupe de Réflexion et d’Action pour l’Appelle du 1er Juin, quel bilan faites-vous de cette année là ?

Merci de nous donner l’occasion de parler de notre groupe qui s’appelle le Groupe de Réflexion et d’Action pour l’Appel du 1er Juin 2021. L’appel du 1er Juin est un appel pour une sincère conférence nationale inclusive et souveraine qui sauve Tchad.  Voilà un peu le sens de l’appel. Maintenant, faire le bilan de l’année 2021, serait un peu prétentieux car il est difficile de faire le bilan de l’année d’un pays en si peu de temps. Tout de même, je vais retracer quelques points saillants qui retracent la situation politique du Tchad.

Pour moi, une des premières caractéristiques de l’année 2021, c’est la capacité du peuple tchadien à se mobiliser pour défendre ses droits et ses intérêts. Je crois que c’est une tendance importante qu’il faut noter parce que, déjà, à partir de février 2021, les Tchadiens marchaient régulièrement dans la rue pour revendiquer leurs droits, pour s’opposer au 6ème mandat. Une mobilisation immense qui s’est faite au niveau national et au niveau de la diaspora avec des mouvements dans les différentes capitales européennes et américaines. Le boycott de l’élection présidentielle du 11 avril 2021 était un boycott très efficace. Les Tchadiens ont compris qu’il faut qu’ils se lèvent enfin pour obtenir leurs droits. C’est un point extrêmement important de l’année 2021 et cela s’est fait aussi avec l’émergence des forces vives nouvelles qui ont apporté une sorte d’espoir à la jeunesse tchadienne. Je vais citer ici le parti Les Transformateurs avec Dr Succès Masra, le regroupement de Wakit Tamma ainsi que quelques autres partis d’opposition (anciens comme nouveau). Bref, quelque chose a changé au niveau du Tchad qui montre que les Tchadiens, face à la souffrance, la misère, l’injustice, la discrimination, etc., ils savent se mobiliser pour que ça change ! C’est un élément historique important qu’il faille souligner. Tous ceux qui ne comprennent pas ce mouvement historique, et qui pensent que l’ancien système peut être maintenu, doivent comprendre qu’ils sont dans la mauvaise direction. Les gens se sont sacrifiés dans ce mouvement là !

Un autre point qu’il faut souligner ici, c’est la mort tragique du président Déby, paix à son âme. Une mort brutale sur un terrain de bataille qui rappelle qu’en réalité le Tchad n’est pas en paix. Cette mort, beaucoup de Tchadiens l’ont perçu comme une opportunité pour prendre une nouvelle base pour pouvoir apporter des solutions aux problèmes socioéconomiques dont souffrent les Tchadiens. Beaucoup estiment que c’est une occasion pour se retrouver pour jeter les nouvelles bases où il faut vivre dans l’égalité. Et c’est aussi le sens de de l’Appel du 1er Juin qui a appelé à une sincère conférence nationale inclusive et souveraine où les Tchadiens, les forces vives de la nation doivent se retrouver pour créer les conditions d’élections libres, démocratiques et transparentes, qui permettront enfin aux Tchadiens de choisir leurs dirigeants qui vont leur proposer un développement équitable et juste. C’est ce que nous avons espéré, nous, au niveau du Groupe mais nous pensons que la direction n’est pas encore dans ce sens, et il est vraiment important que les Tchadiens se mobilisent pour trouver une solution à leur problème, car le bilan social est difficile. Il y a beaucoup de choses à dire mais ce sont juste ces quelques éléments qu’il faut souligner.

Pensez-vous que le dialogue projeté au 15 février 2022 serait un cadre de la réconciliation des fils du Tchad ?

Dialoguer c’est amener les gens qui sont en désaccord à discuter ensemble afin de s’entendre, de trouver un consensus entre eux et de se réconcilier. Ainsi donc, il faut identifier les personnes qu’il faut réconcilier et les problèmes qui les opposent… Au stade actuel, est-ce que ce travail a été fait ? Est-ce que tous ceux qui sont mécontents vont se réunir autour de la table pour discuter ? Et est-ce que ce dont on va discuter va couvrir les points essentiels de ce qu’il faut pour dialoguer afin de se réconcilier ? Les choses méritent d’être clarifiées. Nous avons fait des propositions très claires et nettes. Ce que nous appelons l’agenda pour un dialogue réussi. Nous pensons que l’agenda doit se résumer à deux grands domaines.

Le premier, c’est la refondation de l’Etat tchadien. Que les Tchadiens se retrouvent pour discuter et jeter les bases de leur société. On doit rediscuter de tout ce qui touche à la forme de l’Etat tchadien. Ça implique la question de l’Etat fédéral ou de l’Etat centralisé, la question de pouvoir, de justice, des libertés, etc. Bref, de comment nous allons adapter nos différences culturelles, linguistiques et autres pour vivre ensemble. Ce sont des points importants sur lesquels il faut discuter, en les matérialisant dans les textes. La Constitution, les lois électorales doivent être claires et précises avant d’aller aux élections pour choisir pour une fois dans la transparence les gens que nous voulons pour nous diriger.

Pour le deuxième domaine, il est question de discuter de la gestion de la transition pour aboutir aux élections voulues. Il faut donc une charte qui dit clairement que ceux qui dirigent la transition ne vont pas être candidats aux élections car nous ne voulons plus des gens qui vont être juges et parties ! Il y a aussi la question très importante des organes de cette transition et de leurs dirigeants. Cela doit se faire par consensus avec toutes les forces vives. Que ce soit le Premier ministre, que ce soit les membres du Parlement de transition… et se mettre aussi d’accord sur le programme de la transition. Non seulement il faut gérer les affaires courantes mais le gouvernement qui doit être mis en place doit avoir des orientations claires car nous aurons besoin d’une administration transparente, neutre et saine pour aider à l’organisation d’élections crédibles.

Un aspect que je voulais ajouter dans la refondation est la question du passé, avec la question de vérité, justice et réconciliation vraie des Tchadiens, qui ne doit pas être discutée seulement pendant le dialogue mais dans le temps, après les élections.

Il faut qu’il y ait une vraie participation : toutes les forces vives doivent être présentes. Aujourd’hui, le CODNI n’est pas consensuel et inclusif car il ne contient pas toutes les forces vives de la nation. Il y a des partis politiques et des mouvements de la société civile qui ne sont pas représentés, tels que Les Transformateurs, Wakit Tamma, le Groupe de l’Appel du 1er juin, des partis tels que les Démocrates, des coalitions de partis telles que l’UNPT et le COP, etc.  et bien d’autres, donc on ne peut pas dire que c’est inclusif. Et toutes les forces politico-militaires doivent être nécessairement dedans et ce, dès la préparation du dialogue car ça les concerne. Le président du Conseil Militaire de Transition a dit que le dialogue sera souverain, et c’est notre revendication dès le début. C’est une bonne chose mais il doit créer les conditions de cette souveraineté.  Il faut alors modifier la charte de la transition pour y ajouter la souveraineté du dialogue, et ajouter le fait qu’il ne sera pas candidat à la fin de la transition. Et ce n’est pas pour rien que nous revendiquons cela mais c’est pour apaiser les Tchadiens et les mettre en confiance, parce qu’il ne sera pas juge et partie. Sinon, cela crée de la suspicion dans la tête des gens.

Et si vos revendications ne venaient à être prises en compte, que feriez-vous ?

On ne lutte pas pour dire que les revendications ne seront pas prises en compte ! Ce que nous disons, ce que nous revendiquons, ce ne sont pas nos revendications personnelles. Nous posons ce problème dans l’intérêt du Tchad et de tous les Tchadiens. Si on ne le fait pas, le risque de la catastrophe pour le Tchad n’est pas loin. Qui a intérêt à ce que le Tchad s’embrase, que le Tchad ne se développe pas, ou que les Tchadiens ne puissent pas s’entendre, ou qu’il n’y ait pas le dialogue vrai et sincère? Et qui a intérêt qu’on maintienne le Tchad dans le système de la prédation actuelle ? Sauf la minorité qui en profite mais on ne peut pas laisser une minorité dictée sa loi à tout un peuple. Il faut que les Tchadiens se mobilisent pour faire aboutir ce dialogue pour sauver le Tchad.

Pour l’année 2022, quels sont vos vœux pour les Tchadiens ?

Mon principal vœu est qu’il y ait réellement une conférence nationale inclusive et souveraine qui va nous permettre de refonder le Tchad, de définir les nouvelles règles du jeu afin que la transition aboutisse à son succès. Car il faut sortir le Tchad de la misère, du manque d’eau et d’électricité, de son système éducatif totalement pourri, de la pauvreté, de l’injustice… Que nous ne soyons simplement plus, au regard de la Communauté internationale et de certains pays, un réservoir de guerriers qu’on utilise sur les champs de bataille ailleurs. Nous sommes un peuple qui aspire à vivre le développement et à connaître la prospérité comme les autres peuples. Nous voulons des dirigeants bâtisseurs de leur pays.

Entretien réalisé par Sabre Na-ideyam