Beassemda Lydie, candidate au poste de Secrétariat Exécutif Adjoint du CILSS « J’aspire à contribuer à la réalisation des missions du CILSS »Beassemda Lydie, candidate au poste de Secrétariat Exécutif Adjoint du CILSS « J’aspire à contribuer à la réalisation des missions du CILSS »

User icon Par Ibrahim Adam

Beassemda Lydie, titulaire d’un DESS en agro-alimentaire et en planification des projets a un parcours professionnel très riche. Après avoir travaillé dans plusieurs Organisations Non Gouvernementales (ONG) en tant que responsable de projets puis et surtout dans le domaine de genre, elle a été nommée ministre en charge de l’Agriculture du Tchad où elle a organisé avec succès le Salon africain de l’agriculture (SAFAGRI). Aujourd’hui, elle est candidate au poste du secrétariat exécutif adjoint du Comité Inter-Etats de la lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS). Depuis la création de cette institution en 1973, lors de la première grande sécheresse sur la région, elle serait la deuxième femme qui occuperait ce poste, si elle venait à être élue.

Pourquoi avoir décidé de poser votre candidature au poste du Secrétariat Exécutif Adjoint du CILSS ? Votre réelle motivation pour ce poste…

Citoyenne d’un pays membre fondateur du Sahel, j’aspire à contribuer à la réalisation des missions du CILSS dont la réponse aux défis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle à travers une gestion des ressources naturelles du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. C’est un poste très opérationnel, un poste des programmes, des projets, un poste de management et de planification, de suivi et évaluation de l’ensemble des interventions de l’institution. Et ma motivation vient avant tout de mon profil. Dans une institution, la planification est très importante. C’est elle qui donne la vision de l’institution mais aussi qui donne sens à l’institution. Et j’ai travaillé dans la planification et mon expérience dans le domaine me permet d’apporter ma contribution à la mise en œuvre des reformes puisque le CILSS se retrouve dans un contexte de reforme institutionnelle. Ce sera une reforme exceptionnelle pour le CILSS qui est en train d’adopter une très bonne vision. En tant que représentante du Tchad, je veux apporter ma contribution. Le Tchad est un pays fondateur de CILSS et il joue un rôle très important  dans la politique de l’institution.

Vous savez, nous avons eu des Tchadiens au poste de Secrétariat exécutif qui est un poste politique et tournant. Mais le poste de secrétariat exécutif adjoint un poste qui est opérationnel et ma contribution va renforcer ce que fait le Tchad déjà dans la sous-région. Aussi, ma candidature a pour but de renforcer l’institutionnalisation du genre au CILSS. Le monde évolue avec la politique du genre donc le CILSS ne restera pas à la marge. Je mesure à juste titre et avec solidarité la portée historique de cette unique candidature tchadienne et féminine au poste de Secrétaire exécutif adjoint. Mettre mon engagement et mes expériences au service des processus politiques et des stratégies régionales sensibles aux inégalités sociales en général et au genre en particulier me tient à cœur. Aussi, prendre part à l’édification de l’espace économique dans le contexte de la mise en œuvre de l’agenda 2063 de l’Union Africaine qui tient compte des couches les plus vulnérables est un enjeu qui me passionne.

Bien que le poste de Secrétariat exécutif adjoint soit un poste opérationnel, ne pensez-vous pas que le soutien de l’Etat tchadien soit primordial pour accompagner votre candidature ?

Je rappelle encore qu’il est vrai que le poste soit ouvert à tout le monde mais après que ma candidature soit acceptée, j’ai eu le soutien du président Déby et celui du gouvernement tchadien. J’accorde du prix à l’appui très précieux des plus hautes autorités durant cette marche qui a duré depuis près de sept mois. Donc j’affirme avoir le soutien de l’Etat tchadien car tout le monde a cru et continue à croire en ma modeste personne pour ce poste dont je suis candidate. Je profite de cette occasion pour les remercier puis aussi remercier le gouvernement tchadien à travers les ministères des Affaires étrangères et de l’Agriculture.

Quelle serait donc la politique que vous allez mener au sein de CILSS si vous êtes élue ?

En tant que Secrétaire exécutif adjointe du CILSS, mon rôle sera de mettre en œuvre les recommandations des instances de cette institution qui sont le Conseil des ministres et la Conférence des Chefs d’Etats et de gouvernements. Donc mon rôle est que la vision de l’institution soit réalisée, soit atteinte. Aujourd’hui, les changements climatiques affectent les petites exploitations familiales, elles subissent les effets de la dégradation exponentielle de la nature. Celles du Sahel méritent une attention particulière. Partant, je rends hommage aux productrices et aux producteurs dont la capacité de résilience face aux effets et aux impacts des changements climatiques garantissent notre alimentation. Parce que les petits exploitants jouent un rôle essentiel pour l’avenir de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel.

Mais aussi, face aux nombreux foyers de tension, à la montée de l’extrémisme violent au sahel, les nombreuses stigmatisations et autres préjudices subis par les femmes africaines en générale et celle du sahel en particulier, le renouvellement du rôle du CILSS doit s’inscrire dans une perspective d’un positionnement de levier du développement économique et social inclusif où les jeunes et les femmes deviennent des acteurs économiques. Renforcer les capacités de ces derniers à saisir toutes les opportunités locales, nationales, régionales, continentales et internationales est l’enjeu principal des 4 prochaines décennies telles prescrites par l’agenda 2063.

Le rôle du CILSS sera de créer les conditions d’accès équitable et de l’égalité des chances aux opportunités promues à travers des modèles de développement socio-économique sensible au genre. Les enjeux de l’adaptation et de l’atténuation des effets/impacts du changement climatique, l’entreprenariat des jeunes et des femmes et la participation égalitaire au processus décisionnels relatifs à l’agenda « paix et sécurité » constituent des dimensions essentielles dans les stratégies à entrevoir. Pour cela, des arrangements institutionnels pour rendre accessibles, performants et redevables le CILSS face à ses propres engagements doivent être conduits d’une part. D’autre part, les investissements dans les chaines de valeurs des différents pays requièrent des partenariats stratégiques.

Quelle lecture faite vous du rôle des femmes dans le sahel ? Occupent-elles la place qu’il faut ? Jouent-elles pleinement leurs rôles ?

C’est une question très pertinente qui nécessite que nous nous penchions là-dessus. Il faut savoir que les femmes du Sahel constituent le socle de la structure sociale et le pilier de l’économie des pays même du Sahel. Ce sont ces femmes qui nourrissent les ménages au prix des grands efforts et de sacrifices. Ce rôle, elles le jouent et le jouent parfaitement bien que leurs efforts ne soient pas reconnus, soutenus ni valorisés. Cependant, depuis une décennie, les cadres juridiques de la plupart des pays ont été renforcés en reconnaissance de leurs rôles. Cependant, dans la pratique, elles sont loin d’être consultées, impliquées et associées aux prises de décisions. La voix des femmes en général et celle du sahel en particulier est peu audible car la configuration des instances décisionnelles est constituée des hommes. Au CILSS par exemple, sur les effectifs du personnel toutes les institutions confondues, la majorité des agents (60%) sont des cadres, mais les femmes ne représentent que respectivement 23% de l’ensemble et moins de 10% des cadres. La gouvernance paritaire au sein du Secrétariat exécutif du CILSS est un enjeu dans le processus de réforme institutionnelle enclenchée.

Les femmes au Sahel ne doivent pas être vues comme des victimes dont le besoin est l’assistance mais elles doivent plutôt être des actrices pouvant contribuer aux efforts de prévention et de réponse des effets/impacts du changement climatique, des conflits et du terrorisme. Et pour cela, les femmes sahéliennes doivent prendre part aux prises de décisions pour que ce ne soient pas uniquement leurs besoins pratiques d’assistées qui soient prises en compte mais surtout ses intérêts stratégiques qui font d’elles des citoyennes à part entière jouissant de tous les droits et des devoirs consacrés par les constitutions de chaque pays du CILSS.

Au Sahel, les femmes parcourent des kilomètres à la recherche de l’eau et du bois de chauffe pour l’alimentation et la nutrition ; elle pratiquent une agriculture ou un élevage de subsistance dans des conditions pluviométriques et de dégradations des écosystèmes sans équipement, sans intrants, sans accès aux technologies et autres innovations ; elle subissent des menaces et des effets/impacts du terrorisme et de l’extrémisme violent, les conflits et autres catastrophes, etc. dans des contextes où les services sociaux de base sont distants.

Actuellement, le Tchad assure la présidence et le Secrétariat exécutif du CILSS. Cela ne va-t-il pas jouer en votre défaveur ?

Pour y répondre, je vous informe que ce poste est compétitif parce qu’opérationnel et non tournant comme celui du secrétariat exécutif. Donc après le dépôt des candidatures en décembre 2019, une présélection a été faite sur examen des dossiers. Ensuite, les candidats présélectionnés ont passé une série de tests écrits puis une phase de test oral. Jai eu le privilège de passer les trois étapes susmentionnées (Ndrl, examen de dossiers, test écrit, oral). J’ai été soumise à une évaluation additionnelle de mes compétences en particulier mes capacités rédactionnelles à travers le remplissage d’un formulaire. Ce qui renforce notre optimisme, preuve que les étapes antérieures sont concluantes. De tout ce processus, une short list des meilleurs candidats devrait être transmise au ministre Coordonnateur du CILSS et soumise à la décision des instances prochaines (Conseil des ministres, Conférence des chefs d’Etats et de gouvernements). Aussi, ma conviction, la foi et le portage de ma candidature par le Tchad me garantissent une quiétude. Expertise pluridisciplinaire, expériences avérées dans les politiques agricoles, tant alimentaires et nutritionnelles… et capacités managériales sont des atouts probants dans mon cas. Par ailleurs, l’équité et l’égalité des sexes doivent s’appliquer à la gouvernance du CILSS qui, depuis sa création n’a enregistré qu’une seule femme à un poste au Secrétariat Exécutif Adjoint. Le Tchad arrive aussi à la fin de son mandat donc il n’y a pas de raison que je ne sois pas éligible si je suis la meilleure candidate. Aussi, il ne serait pas bon que la gouvernance ne soit que masculine. Bref, sur ce plan, il n’y a pas de raison pour que je sois disqualifiée puisque c’est la compétence qui compte. Et si je suis arrivée à ce niveau, cela veut dire qu’il y a de la compétence.

Personnellement, ma modeste personne n’est rien car si je suis élue, c’est le Tchad qui gagne sur la base de la compétence de ses filles et de fils.

Interview réalisée par

Sabre Na-ideyam